Mapping,
C’est l’occasion pour moi de prendre le contre-pied de tous ces écrits sur la jeune création contemporaine où l’on conclut à tort et à travers que l’artiste nous parle « de son rapport au monde qui l’entoure ». Cette simple phrase, trop usitée, est devenue un passe-partout, et me semble de plus en plus creuse à mesure que je la croise au fil de mes lectures.
Je pose donc la question : certains artistes étudient-ils réellement leur rapport au monde ? Et de quel monde parlons-nous ? En dressent-ils des contours assez précis pour que nous soyons à même, en tant que regardeurs, de considérer leur étude comme quelque chose de fiable ?
Étymologiquement, l’écriture du monde: la géographie est l’une de nos plus anciennes disciplines scientifiques. La syntaxe des routes et nos cartes ont depuis toujours traduit notre monde en termes spatiaux. Nous nous trouvons cependant aujourd’hui face à une rupture dans le médium cartographique puisque cet outil (la carte), tel que nous le connaissons, ne nous permet pas/plus de rendre compte correctement de certains espaces de flux « hypermobiles ». Les nouveaux outils que sont GoogleEarth et nos GPS tendent et nous poussent à vouloir découvrir d’autres cartes que celles qui nous sont habituellement données à voir.
Les artistes contemporains ont déjà exploité la carte dans leurs créations : Ai Weiwei, Map of China, 2006 ; Ólafur Elíasson, Daylight Map (2005) ; Mona Hatoum, Present Tense (1996) ; Guillermo Kuitca, Untitled (1992) ; Alighiero Boetti, Mappa, (1972-3) ; Jasper Johns, Map (1961) – pour ne citer que ceux-ci. Néanmoins, les nouvelles générations d’artistes > la jeune création n’utilisent plus seulement la carte comme simple motif pictural, mais usent bel et bien de relevés topographiques, de données GPS, ou encore établissent eux-mêmes leurs propres cartes pour réaliser leurs œuvres.
L’exposition Mapping At Last rassemble une douzaine d’artistes, toutes générations confondues, qui intègrent la notion cartographique et/ou le relevé topographique dans leur processus créatif. Les cartes ainsi produites deviennent alors celles d’un monde qui leur appartient. Elles sont souvent celles d’un paysage fantasmé, d’un voyage inachevé ou la retranscription imagée d’un relevé qui n’obéit plus au dictat de l’espace et du temps. La localité que ces artistes choisissent de représenter n’est plus uniquement géographique en un temps T, elle peut se faire compilation d’un souvenir collectif, ressenti vibratoire d’un voyage entre point A et B, ou bien imagerie d’une collection d’émotions passées, de territoires quotidiens, intimes et morcelés.
Rappelons qu’une carte, conventionnellement, est une représentation, souvent plane, de phénomènes concrets ou même abstraits, mais toujours localisable dans un espace plus ou moins défini. En astronomie, une carte est encore une représentation plane d’une région du ciel ou bien d’un astre de dimensions appréciables. Produire une carte, qu’elle soit d’un pays, d’un continent, d’une mer ou bien du ciel, n’est finalement que la mise en image d’une sélection de données collectées. Sauf que, malheureusement, à trop vouloir rendre notre monde conforme à son image cartographique, on en élude tout un pan sensible ou invisible qui en fait pourtant bel et bien partie.
Dans son ouvrage De la raison cartographique1 (2003), Franco Farinelli nous dit : « La géographie est la description de la Terre. C’est ainsi qu’on l’énonce depuis des siècles. Mais il en va tout autrement parce qu’entre-temps, la chose la plus importante à été oubliée : c’est précisément à travers cette description que le monde en vient a être ramené à la Terre, la Terre à sa surface et cette dernière à une table (…) et, toute définition de la Terre (notre monde) est susceptible d’être interrogée tant elle suppose un point de vue personnel implicite. » Comme la perspective, une carte, qui est le produit d’une projection personnelle, fonctionne uniquement parce qu’elle mobilise le sujet de la connaissance. Ce qu’Anne Roqueplo formulait ainsi dans son article «LA CARTOGRAPHIE CHEZ LES ARTISTES CONTEMPORAINS», publié par Comité Français de Cartographie (2010) : « Le déplacement de données objectives vers des données relatives n’en n’organise pas moins un savoir qui renvoie au fondement même de la fonction de la carte demeurant à ce jour l’un des instruments privilégiés de la connaissance. »
Notre monde est en perpétuelle modernisation. Les œuvres d’Emilie Akli, Benoît Billiote, Maxime Bondu, Armelle Caron, Pierre Chevron, Rémi Dal Negro, Julien Discrit, Juliette Feck, Bérénice Lefebvre, Thierry Liegeois, Florent Morellet, Golnaz Payani et Capucine Vever ne sont pas des cartes conventionnelles, de celles qu’on s’attendrait à voir. ès lors, si les cartes préfigurent et conditionnent notre vision du monde qui nous entoure, à quoi ressemble le monde que ces artistes nous donnent à voir ? Et quelle part est prise par leur subjectivié d’individu face au global d’une retranscription « cartographique imagée » ?
… At Last
Léo Marin
Expositions